L'affaire Jean-Paul Renard va-t-elle contaminer certains de ses collègues sur la Côte d'Azur ? La semaine dernière, au cours de l'audience du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) consacrée aux poursuites disciplinaires contre cet ex-doyen des juges d'instruction, la chancellerie annonçait la saisine de l'Inspection des services judiciaires (une troisième descente en cinq ans au sein de la justice niçoise) sur un curieux épisode : la libération expresse, en avril 2001, d'un détenu visé dans un réseau de cocaïne alors qu'il menaçait d'impliquer deux magistrates locales.
Le juge Renard, alors chargé du dossier, affirme avoir refusé le «chantage» du détenu et ne l'avoir libéré que pour raisons humanitaires : ce dentiste déprimait en prison et son cabinet risquait de péricliter. Néanmoins, les conditions de cette extraction en catimini (sans procès-verbal, sans présence d'un avocat) ont laissé pantois le président du CSM, Guy Canivet : «Aucun juge d'instruction ne peut faire croire que c'est une procédure normale de remise en liberté.»
Carnet. Patrice Davost, directeur des affaires judiciaires au ministère, justifie la saisine de l'Inspection : «Des allégations visent des magistrats, ces mises en cause sont l'objet de vérifications.» En 2003, le procureur de Nice Eric de Montgolfier avait ouvert une enquête préliminaire sur le même sujet. Non pas pour vérifier si les deux magistrates seraient consommatrices de cocaïne, mais pour éclairer une autre curiosité procédurale : la disparition de certains scellés, comme le carnet où le fournisseur notait scrupuleusement les commandes des clients. Mais aussi l'absence de poursuites contre une cliente, proche de l'une des magistrates.
Le rapporteur du CSM, Vincent Lamenda, premier président de la cour d'appel de Versailles, décortiquant avec une précision diabolique l' affaire Renard, concluait également : «De nouvelles enquêtes mériteraient sans doute d'être entreprises (...) à l'égard d'autres magistrats qui pourraient avoir commis des actes répréhensibles.» Dans le chapitre consacré à une intervention auprès d'Emile Zuccarelli (1), alors ministre de la Fonction publique, afin de favoriser la promotion du juge Renard comme procureur général à Monaco, le rapporteur cite d'abord ce dernier : «J'ai fait cette démarche comme beaucoup de magistrats dont je ne citerai pas le nom.» Une note de bas de page précise : «Il s'agit de M. Le Bourdon, président de la chambre de l'instruction d'Aix-en-Provence.»
Diabolisation. En juin 2001, Yves Le Bourdon venait témoigner en faveur de Jean-Paul Renard lors d'une première audience devant le CSM (à la suite de sa mise en examen pour avoir consulté le casier judiciaire à des fins maçonniques), en des termes très élogieux : «Compétence professionnelle remarquée et reconnue par tous, menant ses informations avec clarté, rigueur, logique, efficacité. A ces qualités, j'ajouterai le sens de la mesure et de la dignité dont M. Renard a su faire preuve depuis qu'il est publiquement, violemment, attaqué de manière injuste et indigne.» Qu'un président de chambre vienne ainsi épauler un juge d'instruction qu'il est théoriquement chargé de contrôler, le cas échéant de censurer avait choqué. Le Bourdon s'en justifiait en dénonçant «les attaques personnelles publiques portées par M. le procureur de la République (Montgolfier, ndlr) . Je ne peux m'empêcher de me poser la question si cette diabolisation n'était pas le premier effet recherché pour créer artificiellement un point de non-retour, une pression sur les autorités». Suite à cette envolée, le CSM n'avait alors infligé qu'une simple réprimande au juge Renard. «Une très grande victoire» , estimait son avocat, Me Cardix.
Michel Cardix, lui, est mis en examen pour blanchiment au profit d'un escroc libanais en fuite, Anthony Tannoury. Son nom figure aux côtés du juge Renard dans un des griefs reprochés par le CSM. En résumé : Renard sauve Tannoury d'un mauvais pas en mai 1995 en lui permettant de dédommager une victime Ñ une société de bâtiment dont les travaux dans la villa de Tannoury n'ont pas été payés. Mais sans laisser de trace, car la villa est au nom d'une société offshore dont Tannoury ne veut pas apparaître comme l'ayant droit. Une fois la villa saisie et mise en vente, Tannoury se débrouillera pour la racheter en passant par le compte d'avocat de Me Cardix.
Répit. Lors de la dernière audience du CSM, alors que la chancellerie venait de réclamer sa révocation, Jean-Paul Renard s'est dit «à bout» , ne sachant s'il saurait «supporter» une telle décision. Me Cardix pouvait savourer un répit : le même jour, la chambre de l'instruction d'Aix annulait quelques pièces de sa propre affaire .
(1) Au CSM, Jean-Paul Renard affirme n'avoir jamais rencontré Emile Zuccarelli. Ce dernier, dans un courrier à Libération , banalise son intervention : «Il s'agit de démarches extrêmement courantes, quel que soit le corps d'origine des fonctionnaires. J'en veux pour témoignage la réponse de la chancellerie qui n'a manifestement été ni étonnée, ni choquée.» Il indique n'avoir rencontré Renard qu'une fois, l'été 1998 en Corse, brièvement. Une fois, donc.
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